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ENTRETIENS
de M. Alocco avec…
12. SUR LE FOND
Un entretien Max Charvolen/ Marcel Alocco
Après une deuxième phase de travaux de restauration du
Château, le Centre International d’Art Contemporain de Carros
reprend ses activités d’expositions avec des oeuvres conçues
lors de deux résidences avant travaux par Max Charvolen (Plasticien)
et Suzanne Hetzel (photographe).
("De fond en comble" CIAC, Château de
Carros, du 18 septembre au 31 décembre 2010)
[Entretien réalisé en Mai 2010]
Marcel Alocco : Ton travail « montrable » commence
dans une période où les peintres affirment, face aux plasticiens – Pops,
Nouveaux Réalistes…– une spécificité du
travail de la couleur sur la réalité du plan, en deux dimensions,
sans illusion de perspective, dans l’affrontement qu’on a
pu schématiquement réduire à une opposition radicale
de Duchamp à Matisse, alors qu’il s’agissait, je crois,
de pensées complémentaires, dialectiques et qui ont, il
me semble, été fécondes. Je me souviens que je connaissais
encore mal ton travail, puis une coupure, tu étais à Rio
de Janeiro où tu terminais ta formation d’architecte dans
l’atelier d’Oscar Niemeyer. Plan, volume, espace… Comment
positionnes-tu tes premiers travaux ?
Max Charvolen : Si je prends comme fondement de
mon travail les vinyles colorés libres, transparents, découpés
et cousus de 1968, je pourrais dire aujourd'hui qu'ils étaient à la
croisée de Duchamp et de Matisse. Marqués par les oeuvres
de Klein, Fontana, Hantaï..... Les questions que je me pose alors
sont les suivantes: Comment donner forme à mon rapport à la
peinture et au monde, comment être le plus possible dans un espace
réel ?... Comment éviter l'illusion? Comment mettre à distance
l'expressivité ?.... Je choisis de travailler à partir
d'un support transparent qui intègre l'espace réel, en
le formalisant par découpe systématique, sans rien masquer
des procédures, la couleur est donnée par le matériau
ou par superposition. C'est ainsi que je réalise ces premières
réponses. D'autres vont suivre, creusant le fait qu'il y a toujours à l'origine
du travail plastique cet espace symbolique normé, ce sur quoi
le monde s'inscrit, ce rectangle qui nous impose procédures et
techniques en même temps qu'il pose nombre de problèmes....
Marcel Alocco : Il s’agit d’un travail
de plasticien, qui évite en quelque sorte les termes principaux
de la définition classique de la peinture : toile, pinceau,
couleur… Ce que tu abordes ensuite.
Max Charvolen : J'entreprends à partir de
69 une série de pièces monochromes bleues à partir
de toile de coton de format rectangulaire que je trempe et malaxe dans
un récipient dans lequel j'ai versé une quantité liquide
de peinture industrielle, vinylique ou acrylique. Je veux probablement
marquer plus fortement la différence entre le vide produit par
la découpe et l'opacité du subjectile. J'ai en tête
encore l'expérience du monochrome de Klein. En même temps
je me raconte des histoires, j'imagine que le monochrome contient toutes
les formes possibles....
Quelque chose va radicaliser mon rapport au travail. Je découvre
qu'en séchant à plat sur le sol la toile de coton gorgé de
peinture se marque d'une tonalité de bleu différente par
face à savoir une face plus foncée que l'autre. Ce rectangle
de toile se renforce à mes yeux comme un biface, tel un objet.
Je vais m'employer à mettre en évidence cet angle de vision
en ouvrant cet espace symbolique de manière à mettre simultanément
en scène avers et envers. Les rapports de limites liés à cet
espace symbolique normé vont prendre une importance accrue dans
mon travail. La couleur dans une constante sera utilisée comme
un outil pour marquer des états plastiques pour différencier,
cherchant à éviter toute symbolique ou états d'âme.
Ces questions je les partage avec d'autres artistes dans un courant que
rien ne désigne ni ne nomme encore à ce moment-là.
Je devrais dire aussi à cette époque, la difficulté à verbaliser
les enjeux du travail, lequel se construit d'intuitions et de rêve.
Mais en est-il vraiment autrement aujourd'hui? C'est dans cette
période que nous faisons connaissance: je participe au dossier
68, j'entre à l'école d'architecture de Marseille, et en
1969 je participe à la salle des Niçois au Salon de Mai
au Musée d'art moderne.
Marcel Alocco : Nous avions avec Farhi rencontré César,
qui avait adopté l’idée et fait la sélection officielle…
Max Charvolen : Quand je suis parti au Brésil
dans le courant de l'année 1971 les éléments de ma problématique
plastique était en place, je venais de participer à plusieurs
expositions parmi lesquelles tu figurais : "de l'unité à la
détérioration" chez Ben en janvier 1970 ou "INterVention" chez
Alexandre de la Salle avec toi, Dolla, Osti, Miguel, Maccaferri, et moi…
Marcel Alocco : Expositions que j’avais organisées,
pour essayer de dégager une orientation encore mal définie… Nous
n’avions bien sûr aucun recul…
Max Charvolen : … puis Noël Dolla et moi à Céret
cette même année.
Marcel Alocco : Et alors se met en place le Groupe 70,
formé de jeunes artistes qui se connaissaient depuis quelques années,
et dont la particularité dans cette tendance, m’a-t-il semblé, était
de s’intéresser davantage à l’occupation de l’espace
réel…
Max Charvolen : C'est à partir de ces manifestations
que quelques mois plus tard s'est fondé le groupe 70 dont la première
exposition aura lieu le 9 janvier 71 dans le vieux Nice chez Chacallis, avec
Isnard, Maccaferri, Miguel et moi. C'est donc après ces expositions
que je suis parti au Brésil pour y effectuer un stage professionnel
lié au cursus d'architecte. Il serait un peu long de raconter ce qui
m'a fait me trouver chez Oscar Niemeyer et d'être intégré à une équipe
qui développait un projet de tours qu'il avait projeté, à l'extérieur
de Rio, à la Barra da Tijuca. Ce séjour Brésilien a été pour
moi une expérience de tous les instants. À Rio j'ai découvert
un peuple dont je me suis senti très proche, pour ne pas dire comme
chez moi. Je me rappelle qu'Oscar Niemeyer m'a reçu avec une grande
simplicité et sympathie quand je suis allé le solliciter à son
bureau. Inutile de parler de sa notoriété, qui était immense.
J'ai réalisé quelques pièces qui m'ont permis d'extérioriser
des sentiments en mêlant mot et objet plastique. La plus grande, environ
35 à 40 m2, monochrome bleu, était disposée sur le sol
aux abords du musée d'art moderne, a donné lieux à une
sorte de performance où je me suis mis immergé en m'étendant
au centre de l'objet plastique, tel l'Homme de Vitruve de Léonard de
Vinci... Avec le recul, il m'apparaît frappant combien ma formation à l'architecture
a interféré dans ma pratique de la peinture et cela aussi dans
la période qui a précédé le travail d'aujourd'hui.
Marcel Alocco : Donc à ton retour tu travailles
sur des mises en espace de tissus. Je pense à cette période de
découpe et tension qui m’a beaucoup intéressé quand,
par commodité je crois, nous parlions « d’échelles ».
Max Charvolen: Peu de temps avant mon départ
pour le Brésil, j'ai commencé la série de ce que nous
avons appelé des "échelles" et que je nommais, à l'époque "formes
et contre-formes". Ces pièces se présentaient comme de grands
rectangles de tissu, à l'intérieur desquels je découpais
régulièrement un ou plusieurs rectangles. Formes et contre-formes,
donc, ou, comme on l'a dit plus tard, "échelles". Par la construction
de ces pièces, où je formalisais les découpes antérieures,
je recherchais une simplification du propos, une recherche de ce qui était
le plus important à mes yeux, en abandonnant ce qui me semblait alors
plus "anecdotique" dans mon travail antérieur. Cela me permettait
une plus grande adéquation entre format de départ (rectangulaire)
et découpe (rectangulaire aussi), une amplification du rapport aux limites
de la toile et à la frontière entre oeuvre (l'espace plastique)
et l'espace réel. Tout cela déterminait en outre d'autres types
de rapports de mon corps aux objets que je construisais. D'autres rapports
physiques, aussi, entre le spectateur et l'espace plastique/physique que je
lui proposais.
Marcel Alocco : Comment se fait le basculement vers tes
relevés de formes : d’abord sur des objets, puis sur des
bâtis, ou les deux simultanément ?
Max Charvolen : J'ai continué à développer
ensuite, par diverses procédures, ce constant questionnement du format,
de ce rectangle de toile et de ses limites, je suis passé en 1979 de
cet espace symbolique et orthonormé à l'espace bâti. La
raison en était que j’ai pris en considération la relation
qui s’établissait entre le format de nos murs et celui du coupon
de toile, voir de tous nos formats normalisés dans la peinture. Un peu
comme si je passais du travail sur le symbole au travail sur le référent...
J'ai alors commencé à recoller ce symbole de l'espace, la toile, à l'espace
qu'il symbolise, le mur. Ce nouvel espace-modèle, le lieu bâti
sur lequel je me suis mis à travailler, s'est révélé comme
une véritable “machine” à questionner et fabriquer
de la forme, du dessin, de la limite..... je l'ai étendu
un certain temps aussi au mobilier. Il me plaisait de dire que d'un côté il
y avait les objets du corps qui sont associés à l'espace où il
vit et se déplace et, de l'autre, les outils et le mobilier qui relèvent
plutôt des usages du corps.....
Marcel Alocco : Pour l’exposition en septembre
2010, au Centre International d’Art Contemporain - Château de Carros,
il s’agit d’un travail mis en exécution sur place, depuis
des mois. Avant et pendant la restauration des lieux ?
Max Charvolen : Oui, j'ai été invité par
le CIAC de Carros à une résidence en 2007. L'idée était
que je réalise mon travail sur les parties du château qui allaient être
rénovées et pour certaines disparaître. Les lieux,
bien qu'en instance de déménagement, étaient toujours
en activité, c'était une situation très vivante et toute
nouvelle pour moi, surtout après mon expérience sur le trésor
des Marseillais de Delphes... Le mot “mémoire” a été évoqué bien
que cela ne soit pas le moteur de mon travail, mais comme une sorte d’effet
induit.
Marcel Alocco : Bien sûr, travailler un bâti,
c’est travailler ce qu’il est, et donc son histoire dans la mesure
où elle y a laissé des traces. Peut-être aussi quelques
traces dont la rénovation a pu effacer certains détails.
Max Charvolen : Les lieux sont constitués d'un
empilement de moments historiques très divers... Le “noyau” du
château date du 12 ou 13ème siècle avec ses parties médiévales
caractéristiques comme la tour... des parties baroques du 17ème,
plafond... cheminées... restes du début du 19 ième avec
la division de cette demeure seigneuriale en plusieurs modules. Et pour finir,
les aménagements et restructurations des années 50 et 60.....
Après l’unicité historique du trésor des Marseillais,*
je me suis trouvé confronté à des mélanges
hybrides de volumes comme le reflet d’une hybridation historique,
qui est finalement celle que nous vivons dans la plupart de nos espaces
urbains : Salle baroque coupée par un plancher/plafond accouplé d'un
escalier, cuisine équipée année soixante jouxtant
un passage/cheminée du 17ème, croisée d'accès
donnant sur une salle de bain, donnant également sur le départ
d'escalier de la tour et sur la trémie d'escalier conduisant à une
issue de secours.... La question était de savoir comment cette
prise en compte de juxtaposition et entassement de temps se traduirait
ou non plastiquement dans ce qui fait le format, la forme, les
dimensions, lors de la mise à plat. Ma première "attaque" des
lieux a été la tour; c'était pour moi un espace
modèle inédit. Je n'avais jamais eu auparavant la possibilité de
travailler sur un espace circulaire. D'autres espaces inédits
pour moi ont suivi, comme les coins cheminée, ou les coins cuisine
aménagés.... J'ai réalisé un peu plus d'une
trentaine de pièces de grandes, moyennes et petites dimensions,
quelques-unes seront présentées, et ce ne sera pas simple
de faire un choix qui rende par l'exposition le foisonnement des volumes
et sa traduction en foisonnement plastique. L'objectif de l'exposition
sera d'en donner une idée. Je souhaite montrer un ensemble de
pièces plastiquement significatif de la diversité des espaces
auxquels je me suis confronté, ainsi que des mises en oeuvre.
Certaines pièces déborderont des murs, et se remodèleront
faute d'espace suffisant à leurs dimensions, ce qui m'intéresse
dans le fait que le signe est transformé dans sa lecture suivant
les caractéristiques spatiales des lieux où elles sont
exposées. Techniquement, il ne sera pas facile de déborder
les limites imposées par les cimaises.... Je souhaite aussi faire
figurer, à proximité des pièces exposées,
des photos qui les montrent en cours de réalisation sur
leur espace-modèle avant la mise à plat. Ça permettrait
d'étendre le dialogue entre le lieu d'exposition tel qu'il apparaît
aujourd'hui, et ce qu'il était avant, ainsi que ce double rapport
de modélisation qu'il a eu et qui demeure encore. Dans l'expo
de Carros, l'important pour moi est bien là, en effet : rendre
compte plastiquement du rapport à ce lieu, le château/le
château rénové. Je ne veux pas perdre ça...
Marcel Alocco : Ce qui signifie que la façon d’exposer
n’est pas neutre, qu’elle doit s’adapter à la spécificité du
lieu exposant comme du lieu modèle, et qu’elle est toujours partie
significative de ton travail. L’exposition de Carros sera donc l’occasion
de mettre plus en évidence cet aspect.
Max Charvolen : Tu as raison: la façon d'exposer
n'est pas neutre. Et je voudrais qu’elle soit significative d’une
recherche en cours : Compte tenu de ce qu'est mon travail, et de
ce que mes pièces doivent, dans leur structure même, à la
configuration des espaces qui me servent de modèles, comment vont-elles
se transformer dans les espaces habituels de la monstration qui ne sont pas
prévus pour recevoir ce type de format, et par format je veux dire aussi
bien les dimensions, que leur configuration générale (type de
polygone par exemple). Je dirais que ça prolonge les questionnements
des enjeux. Le lieu de monstration agit en donnant un format nouveau... re-formate... re-modèle
différemment ce qu'avait produit dans un premier temps le lieu du travail... cette
double transformation comme je le disais agit sur le signe, ça m'interroge
forcément... Je suis du reste intervenu dans ce sens en détail
lors d'un séminaire à l’Ecole Supérieure d’Art
de Metz Métropole en 2009, qui portait sur ces questions justement.
Note
* Voir « Max Charvolen au Musée d’histoire de
Marseille » par Raphaël Monticelli, dans Performarts été 2009,
et catalogue « Sur le trésor des Marseillais » des
Musées de Marseille (Textes de Solange Rizoulières, Allain
Glykos, Jean-Pierre Mohen, Nicole Biagioli, R. Monticelli, Jean Petitot.
(2007)
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